Obligations quant à la publication d’informations en matière de durabilité: évolutions actuelles, coûts et bénéfices
Publié le : 24.10.2024
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Avec la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) l’Union Européenne a introduit de multiples obligations d’information. Que signifie cette directive pour les entreprises suisses : qui est concerné, que coûte-t-elle, à quoi sert-elle? Un éminent expert de la CSRD apporte les réponses. Sur mandat de la Confédération il a, avec d’autres experts, évalué les conséquences de la directive européenne.
Qu’exige la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD)? Les entreprises soumises à l’obligation de reporting doivent d’une part fournir des informations sur la façon dont leurs activités économiques nuisent au développement durable, par exemple par le biais de leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais elles doivent également indiquer si et dans quelle mesure leurs affaires sont concernées par les risques liés à la durabilité, par exemple, les inondations. La CSRD n’impose que la publication d’informations, ni plus, ni moins. A la limite, une entreprise peut continuer de polluer les cours d’eau si elle le rapporte bravement. Quel est donc le but de cette obligation d’information ?
Réorienter les flux de capitaux vers les entreprises durables
Nous sommes loin d’atteindre nos objectifs en matière de développement durable (ni les objectifs de développement durable de l’ONU de l’agenda 2030 (appelés ODD), ni les objectifs de l’Accord de Paris sur le changement climatique). Pour les atteindre nous devons en faire plus. Il faut en l’occurrence davantage d’investissements, c’est précisément pour cela que l’obligation d’information a été lancée : les flux financiers doivent être détournés des entreprises qui nuisent au développement durable au profit de celles qui pratiquent une gestion durable.
Au niveau international, il existe à ce sujet un large consensus. Les engagements correspondants se trouvent par exemple dans l'accord de Paris sur le climat et se reflètent dans l'agenda From Billions to Trillions de la Banque mondiale, qui a pour but de mobiliser les investissements manquants du secteur privé pour atteindre les objectifs de durabilité de l'ONU.
Sur l’auteur
Niclas Meyer est senior consultant chez BSS Volkswirtschaftliche Beratung AG à Bâle. Il s’occupe principalement de questions liées à la numérisation, à la politique scientifique, technologique et d’innovation ainsi qu’à la régulation et à la gouvernance du marché. Niclas Meyer a obtenu son doctorat en 2012 à la London School of Economics and Political Science (LSE). Le 8 octobre 2024 lors du Rendez-vous SQS -table ronde et réunion de réseautage pour les membres de la SQS- il s’est exprimé sur la question de la régulation internationale de publication d’informations en matière de durabilité (voir le lien ici).
Mais alors qu’est-ce qui empêche les investisseurs d’investir dès maintenant dans des entreprises durables ? Pourquoi davantage d’obligations de faire rapport sont-elles nécessaires ? Le problème réside dans ce que l’on appelle l’asymétrie d’information. Il est difficile de vérifier en toute fiabilité si une entreprise produit effectivement de façon durable ou si le « Greenwashing » est pratiqué. Cela complique la tâche des acteurs du marché financier pour investir dans des entreprises durables. Selon l’UE, une obligation généralisée de faire rapport avec des contenus standardisés, une surveillance des autorités et une vérification effectuée par un tiers indépendant résoudrait le problème.
Seul l’avenir nous dira à quel point une obligation d’information comme celle de la CSRD contribuera effectivement à la réalisation des objectifs en termes de développement durable.
Néanmoins, des études scientifiques des Etats-Unis et du Royaume-Uni montrent déjà qu’en réaction à l’obligation de faire rapport, les entreprises soumises à l’obligation de reporting ont réduit de 8 à 18% leurs émissions de gaz à effet de serre.
Jusqu’à 50'000 entreprises suisses concernées
Depuis 2023 le Code des obligations suisse comporte une obligation d’information (voir à ce sujet l’article SQS «Les PME doivent aborder le reporting non financier dès maintenant» | SQS, ndlr). Elle concerne environ 200 grandes entreprises cotées en bourse ainsi que des banques et assurances. En outre, dès 2028 environ 150 entreprises suisses réalisant un chiffre d’affaires de plus de 150 millions d’euros dans l’UE devront également établir des rapports conformément à la CSRD. Si la CSRD était transposée dans le droit suisse - ce qui est actuellement envisagé- toutes les entreprises remplissant deux des trois conditions suivantes seraient soumises à l’obligation de reporting : plus de 50 millions de francs de chiffre d’affaires, un total de bilan dépassant 25 millions de francs, plus de 250 employés. Selon nos estimations, cela devrait concerner environ 2800 entreprises.
Même si la Suisse n’élève pas les exigences légales au niveau de la CSRD, jusqu’à 50'000 entreprises pourraient être concernées à moyen terme par les obligations d’information. En effet, les entreprises directement soumises à l’obligation de reporting ont besoin de données issues de leurs chaînes d’approvisionnement pour établir leurs propres rapports sur le développement durable. Pour ce faire, elles réclament des données en matière de durabilité à leurs fournisseurs. Cela signifie par exemple qu’un fabricant de poignées de portes doit obtenir de l’entreprise où il se fournit en aluminium des renseignements tels la quantité de gaz à effet de serre émise par l’aluminium acheté.
De nombreuses entreprises, ne se trouvant en fait pas dans le champ d’application de l’obligation d’information, sont ainsi indirectement concernées par cette obligation. En outre, étant donné qu’un grand nombre d’entreprises suisses sont bien intégrées dans la chaîne de valeur internationale, elles ont beaucoup de clients dans l’UE ou ailleurs dans le monde qui leur transmettent les nouvelles exigences ou réclament leurs données. De ce fait, nombre de PME se trouvent déjà submergées par ce type de demandes.
Les investisseurs font également monter la pression
La pression monte également du côté des investisseurs. De grandes sociétés de fonds et les gestionnaires de fonds indiciels passifs sanctionnent déjà en partie les entreprises qui ne disposent pas de rapport de durabilité en votant automatiquement contre la réélection du Conseil d’administration lors des assemblées générales. Ces investisseurs détiennent ensemble jusqu’à un quart du capital-actions des grandes entreprises cotées en bourse en Suisse et dans le monde.
En outre, avec la CSRD les rapports de durabilité devraient être lisibles par machine. On peut s’attendre ainsi à ce qu’à l’avenir les sociétés de fonds évaluent les entreprises dans lesquelles elles investissent, également à leur courbe de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi ? Le changement climatique, provoqué par ces émissions, représente pour elles un important risque de portefeuille.
Pour ces parties prenantes, les recommandations du groupe de travail sur l'information financière relative aux changements climatiques (Taskforce on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD)) sont particulièrement pertinentes, il s’agit des recommandations sur la façon dont les entreprises doivent communiquer sur l’influence que les conditions et changements climatiques exercent sur leur modèle commercial et leur activité et sur l’impact inverse. (Les recommandations du TCFD vont être intégrées au CO, voir l’article SQS «Les PME doivent aborder le reporting non financier dès maintenant» | SQS, ndlr)
Coûts et bénéfices pour les entreprises
L’Office fédéral de la justice et le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) nous ont mandatés pour réaliser une analyse d'impact de la réglementation sur la CSRD qui est notamment disponible sur le site du SECO. L’étude montre que les entreprises soumises à l’obligation de reporting devront faire face à des coûts considérables. Elles doivent embaucher du personnel ou fournir de la main d’œuvre et introduire de nouveaux processus opérationnels tels des systèmes informatiques en vue de recueillir et gérer les données exigées. A cela s’ajoute la vérification externe réalisée par un organe de révision ou un organisme d’évaluation de la conformité. En fonction de la taille de l’entreprise, il faut compter entre 90’000 et 700'000 francs par année. Il ne s’agit là que d’une évaluation approximative, les frais effectifs peuvent être nettement plus élevés.
Vers l'article du blog SQS
«Les PME doivent aborder le reporting non financier dès maintenant»
Cela dit, l’obligation de faire rapport peut également comporter des avantages et pas uniquement pour ceux qui utilisent les rapports de durabilité pour prendre de meilleures décisions quant aux investissements. Les entreprises soumises à l’obligation de reporting profitent d’un meilleur accès au capital, d’une fidélité clients plus forte, d’une plus grande motivation du personnel et de meilleures relations avec les parties prenantes et de nombreuses études le prouvent. De plus, les données récoltées peuvent être utilisées à d’autres fins, par exemple pour l’optimisation des processus, l’innovation des produits ou une meilleure gestion des risques affectant la chaîne d’approvisionnement. Ainsi, nous conseillons toujours de considérer les nouvelles obligations de faire rapport non pas comme un exercice de conformité mais plutôt comme une opportunité.
Concernant leurs efforts en faveur de la durabilité, de nombreuses entreprises nous confient qu’elles préfèrent agir plutôt que de le communiquer. Mais pour réaliser quelque chose d’utile je dois savoir sur quoi me concentrer et pour cela on a besoin de données. L’obligation de faire rapport incite fortement les entreprises à améliorer la disponibilité des données.
Par quoi devriez-vous commencer ?
En premier lieu, voyez si votre entreprise est officiellement tenue d’établir un rapport de durabilité. Deuxièmement, sous peine de se répéter, vu que la pression n’émane pas que du législateur, vous devriez absolument réaliser une analyse des parties prenantes et vérifier selon quelles normes vos clients et investisseurs doivent faire rapport et à cet effet, quelles normes ils utilisent. Cela devrait vous donner une idée assez précise des exigences qui attendent votre entreprise.
Lorsque vous élaborez votre premier rapport de durabilité, il est important d’établir les priorités. Les normes européennes d’information en matière de durabilité (European Sustainability Reporting Standard) comportent plus de 1200 points de données. Ceux-ci vont des émissions de gaz à effet de serre en passant par le nombre de violations des droits de l’homme déclarées jusqu’aux produits nets des clients ayant des activités liées au charbon. Pour la plupart, il serait quasi impossible de traiter tous les points de données, mais ils ne doivent pas non plus le faire.
Troisième conseil : concentrez-vous sur les domaines dans lesquels votre activité commerciale a un impact important (positif ou négatif) sur le développement durable (inside-out) et dans lesquels les changements en matière de développement durable exercent une forte influence (positive ou négative) sur votre activité (outside-in). Cela apparaît dans ce qu’on appelle une analyse de matérialité. Cela semble compliqué mais c’est en fait tout simple. Ce qui est plus difficile et laborieux c’est la collecte des données nécessaires.